Laurence Allard
Maîtresse de conférences en Sciences de la Communication.
Ce colloque international et pluridisciplinaire vise à réfléchir sur les discours du numérique liés aux enjeux de transition écologique, de sobriété et d'éthique.
Les conférences détaillées ci-dessous montrent que la transition numérique et écologique est une réalité. Cependant, il est important de se poser la question de la durabilité du numérique. En effet, le numérique, qui semble de plus en plus invisible, a des impacts significatifs sur nos modes de vie. Pour imposer de la sobriété et réduire ces impacts, il est nécessaire de définir des trajectoires. Cela implique une juste articulation de nos modes de vie et une revalorisation des relations humaines. Une écologie mentale devient donc nécessaire.
Maîtresse de conférences en Sciences de la Communication.
Maître de conférences en philosophie française contemporaine à l’Université Paris 8.
Philosophe et directeur de recherche au CNRS.
Professeur de philosophie.
Professeur en redirection écologique et design.
Doctorant au RMIT et au Centre de Recherche en Design (ENS Saclay, ENSCI).
Gauthier Roussilhe est doctorant au RMIT et au Centre de Recherche en Design (ENS Saclay, ENSCI). Il topographie les enjeux environnementaux de la numérisation, de l'extraction des matières à la fin de vie, et des infrastructures à l'usage de services numériques.
L'objectif de l'intervention de Gauthier Roussilhe est de poser la question suivante : le numérique aide-t-il à la transition écologique ?
Pour conclure sa présentation, Gauthier indique qu'il est nécessaire de redéfinir les priorités de la numérisation. "Pour l'instant, il y a un statu quo et il n'y a pas de preuve à l'échelle macro. Mais l'idée est là, les gens sont persuadés que ça fonctionne, mais il est également important de réfléchir aux cas où cela ne fonctionne pas."
Fabrice Flipo est maître de conférences HDR en philosophie, ses travaux portent principalement sur la crise écologique et la philosophie sociale et politique.
Dans cette conférence, Fabrice Flipo nous invite à réfléchir sur l'importance des modes de vie influencés par ce qu'il appelle une invisibilisation du numérique.
Lors de l'introduction de sa conférence, Fabrice Flipo nous rappelle qu'en 2007, il était déjà avancé dans les discours que le numérique représentait 2% des émissions de gaz à effet de serre, autant que l'aviation. En 2008, le numérique était présenté comme une solution et non pas comme un problème. Aujourd'hui, il constate que les chiffres sont totalement ignorés et se demande pourquoi les choses n'avancent pas. "En 2008, c'était 2% et maintenant c'est 4%, et pourtant, nous continuons à avoir les mêmes débats. Il faut réaliser que nous ne sommes pas en train de mener le bon débat."
Fabrice Flipo sépare ces acteurs en 4 groupes, chacun ayant ses spécificités concernant le numérique :
Globalement la technologie pour ces acteurs est vu par son efficacité et non par la sobriété. Le consommateur a-t-il choisi ? Fabrice Flipo parle d'invisibilisation du numérique.
Fabrice Flipo conclut en disant que l'idée est d'arriver à articuler ces modes de vie. Il propose d'obliger toutes les entreprises et l'État à chiffrer la trajectoire qu'ils cherchent à produire lorsqu'ils lancent un produit ou une loi, c'est-à-dire réaliser une étude d'impact.
1Wiener et la cybernétique
2Schumpeter, économiste et professeur en science politique autrichien naturalisé américain, connu pour ses théories sur les fluctuations économiques, la destruction créatrice et l'innovation
3Rapport Shift projet 2020
4Serge Moscovici, un regard sur les mondes communs
Laurence Allard est maîtresse de conférences en Sciences de la Communication, enseignante chercheuse, Université Paris 3-IRCAV, Faculté des sciences économiques sociales et des territoires à l'Université de Lille.
Sa présentation porte sur les discours et les pratiques technologiques, à voir en ombres et lumières, et l'importance à donner ou re donner aux relations.
Laurence Allard conclut en partageant des expériences avec un Fablab mobile au Ghana qui permet de surcycler les déchets, de mettre en valeur les savoir-faire et de fabriquer le numérique avec du numérique. Elle présente ensuite le Repair café, un créalab centré sur la culture de la réparation, qui est un espace de surcyclage et permet de passer de la réparabilité à la dispensabilité.
1José Halloy, les technologies zombies
2 Evgeny Morozov
3Techno-racismes - Sous la direction de Maxime Cervulle et Franck Freitas, 2021
4Le colonialisme des données : repenser la relation entre le big data et le sujet contemporain, Nick Couldry et Ulises A. Mejias, 2022
5Benoit Menange et Fabrice Flipo,Extractivisme : lutter contre le déni, 2020
6Laurence Allard, Alexandre Moninn et Nicolas Nova, Écologie du smartphone, 2022
7Éco-fiction
Anne Alombert est enseignante-chercheuse en philosophie à l'Université Catholique de Lille, au sein de la chaire « Éthique, technologie et transhumanismes ». Ses recherches portent sur les relations entre savoirs et techniques, ainsi que sur les enjeux anthropologiques des transformations technologiques contemporaines.
Dans cette présentation, Anne Alombert nous parle de la nécessité d'une écologie mentale.
Anne Alombert commence sa présentation en parlant de l'écologie de l'esprit dans le milieu numérique. Elle évoque Yves Citton et ses recherches portant sur l'économie de l'attention1 et Paul Valéry dans un texte de 1939 sur la Liberté de l'esprit2, qui s'interroge sur "le destin de l'esprit dans un contexte où l'exagération des moyens soumet les esprits à une agitation et une nervosité généralisée, à une perturbation de nos intelligences, à une stimulation sans un jour de repos."3
Elle nous parle du Rapport Nora-Minc sur l'Informatisation de la société4, publié en décembre 1977. Dans ce rapport, le mot et le concept de télématique sont inventés et le lancement du réseau Minitel y est préfiguré. Ce rapport répond à une demande du président de la République, Valéry Giscard d'Estaing, sur les moyens de « faire progresser la réflexion sur les moyens de conduire l'informatisation de la société », dans un contexte de crise économique. Il prend acte de la révolution informatique en cours (explosion de la micro-informatique) et définit la télématique comme « l'imbrication croissante des ordinateurs et des télécommunications ».
Elle insiste sur les notions de technique et de symbolique. Il faut prendre soin des milieux techno-symboliques. C'est une question écologique, il faut prendre soin de ce milieu. La question de l'écologie est celle de la culture avant la nature. Cette question a déjà été mentionnée par Felix Guattari, psychanalyste et philosophe français, dans son ouvrage "Les 3 écologies"5. L'écologie environnementale est d'un seul tenant avec l'écologie sociale et mentale. Jamais la nature ne peut être dissociée de la culture.
1/ Les enjeux technologies numériques pour l’écologie mentale
Anne Alombert commence par nous parler des enjeux numériques pour l'écologie mentale. Il y a un risque de surexposition aux écrans, notamment pour les jeunes enfants. Le livre La Fabrique du crétin digital de Michel Desmurget6 est cité. Elle revient sur le concept de l'économie de l’attention d'Yves Citton : les réseaux sociaux et les plateformes de contenus collectent des données pour générer des profils, les vendre et les diffuser. Ce sont des technologies persuasives, qui captent les esprits et dictent les conduites. On parle de captologie, le fonctionnement de l'interface numérique influence les pensées et les comportements afin de maximiser l'engagement. Les méthodes comme le défilement infini, les notifications nous mettent en hyper vigilance (Cf la série Dopamine sur Arte7). Il existe une déformation de l’attention et un épuisement psychique. Les comportements deviennent pulsionnels, court-circuitant un certain nombre de facultés réflexives et interprétatives. Jonhathan Crary, critique d'art et essayiste américain, nous indique dans son livre 24/78 que l'économie de l’attention a déjà été développée avec la télévision, mais que le développement est plus fort avec le numérique. Il y a une insularité digitale, une frénésie de connexion et des moments de décollement par rapport au temps présent. Slate confirme cela dans son article "Le vrai concurrent de Netflix, le sommeil"9.
2/ Les enjeux technologies numériques pour l’écologie sociale
Anne Alombert aborde ensuite les dynamiques sociales qui posent de graves problèmes. Par exemple, sur les réseaux sociaux, il y a une quantification des vues qui entraîne une forte concurrence. Cela conduit à une frustration due au manque de vues. Cette frustration est compensée car les personnes qui postent du contenu sont finalement intégrées à un groupe. Cependant, il ne s'agit pas de communautés de pairs, mais de foules mémétiques10. La théorie du désir mimétique se traduit par : on aime ce contenu car on a aimé des contenus similaires ou d’autres personnes ont aimé ce contenu.
Elle mentionne également le livre de Jean-Louis Missika et Henri Verdier, Business de la Haine, Internet, la démocratie et les réseaux sociaux11. Loin des discours marketing, les entreprises utilisent tous ces termes pour masquer un nouveau type de gouvernementalité, une gouvernementalité algorithmique, le pouvoir statistique et non normatif, c'est-à-dire invisible. Il s'agit d'une régulation anticipative des comportements.
3/ Un numérique “écosophique” (Guattari)
Anne Alombert revient sur la notion d'« écosophie » selon Félix Guattari, qui désigne l'articulation éthico-politique entre les trois registres écologiques : l'environnement, les rapports sociaux et la subjectivité humaine. Elle explique que le numérique est actuellement lié à une économie consumériste capitaliste, mais que le marketing et la publicité touchent à leurs limites. Pour Bernard Stiegler, il faut profiter du numérique, qui représente le 3ème âge du capitalisme industriel, pour développer une économie de la contribution, favorisant les activités contributives.
Anne compare Wikipédia, qui prône la contribution et l'intelligence collective, à ChatGPT, qui a une logique inverse où les usagers sont des consommateurs passifs. Ces deux dispositifs ont des objectifs complètement différents : Wikipédia est axé sur le renouvellement, alors que ChatGPT est automatiquement généré, uniforme et standardisé. Les usagers ne participent pas au renouvellement des savoirs, pourtant nécessaires à Wikipédia.
En conclusion, Anne Alombert insiste sur l'importance de parler des « numériques », au pluriel. Pour mieux disposer des dispositifs de savoirs, il est important de comprendre les dispositifs numériques, économiques et techniques associés.
1Yves Citton, l'économie de l'attention
2 Paul Valery, La liberté de l'esprit, 1939
3 Anne Alombert, Schizophrénie numérique, 2023
4 Rapport Nora-Minc, L'informatisation de la Société, 1977
5 Félix Guattari, Les trois écologies, 1989
6 Michel Desmurget, La Fabrique du crétin digital, les dangers des écrans pour nos enfants, 2019
7 Série Dopamine - Arte Séries
8 24/7- Le capitalisme à l'assaut du sommeil de Jonathan Crary
9 Netflix, le vrai concurrent de Netflix? Votre sommeil, 2017
10La mémétique
11Jean-Louis Missika et Henri Verdier, Business de la Haine, Internet, la démocratie et les réseaux sociaux, 2022
Alexandre Monnin, est professeur à l’ESC Clermont Business School en redirection écologique et design, directeur du MSc « Strategy & Design for the Anthropocene » (ESC Clermont BS x Strate Ecole de Design Lyon), directeur scientifique d’Origens Media Lab et docteur en philosophie de l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
Il revient également sur la technologie zombie de José Halloy1. Le numérique consomme beaucoup d'énergie, c'est vrai, mais ce n'est pas suffisant. On ne peut pas se contenter de cette vue étroite, c'est une technologie zombie coûteuse. Il faut proposer une approche biopolitique positive et éthique qui prenne en compte les dispositifs numériques. La position technocritique et la critique environnementale ne sont pas suffisantes.
Ce qui n'est pas sobre, ce ne sont pas seulement les technologies, mais aussi les modèles économiques sous-jacents. Pour Alexandre, il est nécessaire de recentrer le débat et de reconsidérer ces modèles économiques.
Alexandre nous parle de la sociologie des attachements de Callon2. C'est pendant les épreuves que l'on mesure les attachements, quand l'attachement est vulnérabilisé. Par exemple, pendant la crise des gilets jaunes, on se rend compte que les personnes sont attachées à la voiture. Il faut comprendre la nature des attachements, enquêter pour réfléchir au désattachement, pour penser une forme de sobriété.
Il revient sur la sobriété et parle de la sobriété en extension, en prenant en compte l'empreinte environnementale et les aspects quantitatifs. Il est important de rappeler que la sobriété ne garantit pas automatiquement le bonheur.
Alexandre Monnin conclut en expliquant que la consommation globale du secteur ne cesse d'augmenter (effet rebond), mais on ne nous explique pas comment aller vers la sobriété. Il n'y a pas de chemin politique clair, ce qui soulève la question comment y arriver ?.